Olivier Rolin, Terrorisme et Démocratie

Ce livre a pour objet d’analyser et de comparer le corps d’idées et de croyances qui a nourri depuis quinze ans l’action d’une extrême-gauche terroriste en Europe occidentale : Faction Armée rouge en Allemagne, Brigades rouges italiennes et, en France, l’ex-Gauche prolétarienne des années 1970. Nés sur le terreau commun de la vulgate léniniste, les groupes terroristes des trois pays sont à la fois différents et comparables. L’européanisation de leurs attentats, à laquelle on assiste aujourd’hui, a été préfigurée par l’inspiration commune de leurs idéologies.
Un historien, François Furet, et un philosophe, Philippe Raynaud tentent de reconstituer les origines et les éléments des différentes versions terroristes du marxisme en cette fin de XIXe siècle. Un ancien dirigeant de l’ex-Gauche prolétarienne, Antoine Liniers, raconte et analyse pourquoi l’extrême-gauche maoïste française des années 70 a refusé le “passage à l’acte”.

(extrait de la préface, à propos de Objection contre une prise d’armes, d’Antoine Liniers )
«… De cet ensemble d’idées et de sentiments mêlés, le texte d’Antoine Liniers offre à la fin de ce livre un passionnant témoignage, qui met admirablement à profit le supplément d’intelligence que donne le temps qui passe aux gens intelligents.
En contrepoint à l’étude de Philippe Raynaud, qui décortique tous les motifs de l’idéologie et leur disposition respective à l’intérieur du terrorisme allemand et du terrorisme italien, Antoine Liniers traite du bref épisode qu’a été en France le terrorisme virtuel de la « Gauche prolétarienne » comme d’une expérience morale. Comme les « maos » français ont reculé devant l’engrenage du sang versé, leur histoire, quelle que soit l’explication qu’on retienne de cette abstinence, offre la particularité de pouvoir être décrite presque tout entière comme un voyage intérieur. Le maximalisme politique de cette génération immédiatement postérieure à 1968 est différent de celui des générations précédentes dans ses objets de croyance et dans la place de chacun d’eux à l’intérieur d’une analyse générale du monde. Les maos français sont antisoviétiques, à la différence des staliniens d’après la guerre. Ils ne sont pas liés à un combat particulier du tiers-monde, comme les réseaux d’aide au F.L.N. pendant la guerre d’Algérie. On n’en finirait pas d’analyser toutes les nuances qui les séparent de leurs devanciers. Pourtant, en face du sempiternel remaniement des mêmes matériaux culturels empruntés au corps unique du marxisme, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui est en cause se situe au-delà, ou plutôt en deçà, du travail proprement idéologique. C’est plutôt une expérience intérieure qui se reproduit depuis deux siècles, et qui est typique du moderne, puisqu’elle consiste à investir sur l’histoire et sur la politique la totalité du destin humain. Mais, ce faisant, elle paie le prix fort de ce qu’elle nie, par le retour du moral et du religieux dans le soubassement des comportements. Le terrorisme marxiste-léniniste de cette fin de siècle en constitue une forme exemplaire, dont personne ne sait si elle manifeste l’épuisement d’une culture ou simplement un de ces épisodes. »
François Furet